Deux romans très proches du réel qui m’ont marqué ce mois-ci, sans aucun lien.
Avec « En finir avec Eddy Bellegueule », Edouard Louis nous plonge dans l’enfance d’Eddy, un enfant « différent » dans un village de Picardie dont les habitants n’acceptent guère la différence…et le manifestent avec une violence verbale – et physique – réelle. Une autofiction qui ne peut laisser indifférent, et qui navigue entre la froide analyse sociologique que l’auteur, spécialiste de Bourdieu, maîtrise parfaitement, et la trame narrative. Mais ce récit est aussi celui d’une révolte, d’une reconquête de soi, d’un espoir. Rien de pire que de nier la réalité, sous prétexte de ne pas stigmatiser telle ou telle classe sociale, milieu, communauté. C’est aussi ce que nous rappelle ce livre. Et le témoignage d’un jeune sur la manière douloureuse dont enfant il a ressenti l’homophobie y compris dans le cadre familial devrait alerter plus d’une « bonne » conscience.
Autre lecture marquante, Dans le jardin de la bête d’Erik Larson. Ce journaliste s’est emparé de la vie de William E. Dodd, qui fut ambassadeur américain à Berlin de juillet 1933 à décembre 1937, et de sa famille. À travers les regards de Dodd et de sa fille, restitués par l’auteur grâce à leurs notes personnelles, apparaît une Allemagne en pleine période charnière, en train de basculer dans un régime autoritaire, paranoïaque, haineux. Alors que, sans un premier temps, l’Allemagne semble aux Dodd un pays paisible et attrayant, peu à peu un changement s’opère, d’abord par petites touches inquiétantes, jusqu’aux signes les plus évidents de l’horreur nazie, qui va faire évoluer tous les membres de la famille. L’Ambassadeur tentera alors vainement d’informer le Département d’Etat, mais, sous la pression combinée du régime hitlérien et des diplomates américains de carrière, il est rappelé à Washington en décembre 1937. Il ne cessera ensuite d’interpeller les consciences américaines, jusqu’à sa mort en 1940. Un récit construit très efficacement, mais respectant la vérité historique, qui permet de mieux comprendre à la fois le basculement de l’Allemagne et l’aveuglement des démocraties occidentales.