Retrouvez ma contribution sur la e-démocratie dans Témoignage Chrétien http://temoignagechretien.fr/articles/societe/tweeter-nest-pas-voter.
Les réseaux sociaux, les blogs, comme les différents outils participatifs numériques, entraînent une évolution de la relation du citoyen au politique. Pour autant, peut-on parler de l’avènement d’une e-démocratie ?
Les réseaux sociaux peuvent remplir plusieurs fonctions : interpellation des élus, débat et même coconstruction de projets. Si elles ne sont pas nouvelles, elles sont facilitées par la rapidité des échanges, la possibilité de démultiplier les ressources et la relation plus horizontale que créent ces outils: en cassant la verticalité de la relation, souvent descendante, ils favorisent un échange plus libre.
Cela permet également de toucher des populations nouvelles, notamment de jeunes actifs qui n’ont pas le temps ou l’envie de se rendre à des réunions formelles. Dans une ville de 90 000 habitants comme la mienne, on a rapidement un regard déformé par ceux qui sont les seuls à se manifester. Ces échanges sont donc une force, mais il ne faut cependant pas confondre les expressions d’humeur, l’instantané, l’émotion, avec le temps long. Si cela est utile pour informer, préciser, échanger, rencontrer de nouvelles personnes, être informé très rapidement de bonnes pratiques, les diffuser, ce n’est pas le lieu de l’élaboration des politiques publiques. L’intérêt général ne se construit pas en une journée d’échanges sur Twitter !
Je suis chargé des écoles, et les parents d’élèves ont pris l’habitude de me solliciter pour des questions urgentes (c’est parfois le manque de savon dans un établissement) comme pour des sujets plus généraux lors de la mise en œuvre de nouveaux rythmes scolaires. Cela ne remplace pas les informations envoyées à tous les parents, mais permet de réagir rapidement à un problème, de préciser un point…
En ligne et sur le terrain
En campagne électorale, je peux répondre immédiatement à des questions très précises sur un projet et renvoyer facilement vers des informations plus complètes. C’est un atout par rapport à une discussion dans la rue, où toutes les ressources ne sont pas directement mobilisables. Pendant la campagne des régionales, à une question sur les transports, je peux renvoyer vers un article, un élément de programme… Un citoyen souhaite une ligne de tramway: une carte ancienne montre qu’elle existait au début du siècle dernier. Mais le risque est parfois de perdre le contact humain. C’est pour cela que rien ne remplace la campagne de terrain. J’invite toujours une personne qui est active sur les réseaux sociaux à prolonger notre échange autour d’un café. Je connais des élus très présents sur Internet, qui répondent vite et bien, mais qui oublient qu’il faut aussi une action concrète derrière. Il ne suffit pas de répondre: il faut agir; sinon, le lien de confiance se brise à la longue.
Le deuxième atout est de permettre un débat informé avec les citoyens. Avec les données accessibles en ligne, et le fait que de plus en plus de collectivités font le choix de l’open data (de l’ouverture de leurs données), les citoyens ont les moyens d’évaluer par eux-mêmes les politiques, de construire des articles parfois très denses sur des blogs. Ainsi, Courbevoie a commencé à réaliser un tableau de bord urbain. J’ai rencontré, grâce aux réseaux sociaux, une association qui est devenue la spécialiste des dessertes de notre ligne de train, et dont l’expertise est vraiment précieuse pour les élus, j’ai eu des commentaires sur mon propre blog qui nous ont permis d’enrichir la réflexion sur des projets urbains, sur la question du vélo à La Défense, etc. Au-delà de la communication très verticale sur l’action d’une équipe municipale, on entre par ces échanges dans une autre dimension de débat public, d’enrichissement par l’expérience qui peut nourrir la décision politique.
Il faut aussi assumer la complexité, car le refus de la complexité est bien la fin de la démocratie, comme l’écrivait Jacob Burckhardt. Et il faut revenir à un temps plus long. Le socle de l’action reste l’élection, cette cristallisation de la volonté collective autour d’un projet. L’instance du débat politique local est le conseil municipal, départemental ou régional. On peut le filmer, y ajouter, comme le font certains, une dimension interactive. Mais il s’agit de compléter, d’éclairer, pas de remplacer. Pendant les six ans d’un mandat, nous ne pouvons plus faire comme si le citoyen n’existait pas, mais la déclinaison d’un projet adopté par une majorité d’électeurs ne peut pas sans cesse être remise en question. Alors, oui, il faut mettre en place des cadres de démocratie délibérative qui peuvent utiliser en partie les nouveaux outils numériques. C’est une opportunité formidable pour coconstruire des projets importants pour une ville, et servir l’intérêt général. Mais il faut refuser la démocratie d’interpellation, qui varie au gré de l’émotion et qui n’est jamais qu’une photographie d’intérêts particuliers. Nous n’échapperons pas à une réflexion sur le fait que la démocratie de l’immédiat, que j’appellerais la «syncrocratie», peut être la plus grande menace contre la démocratie elle-même, rejoignant en cela l’histoire des mouvements populistes. La e-démocratie reste encore à inventer.